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Les transactions portant sur les véhicules automobiles vendus par des professionnels à des particuliers, malgré le formalisme qu’implique l’immatriculation, n’échappent pas à la rigueur de la prescription biennale. C’est l’apport d’un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 25 février 2010.

Le contexte

Une société propriétaire d’un véhicule LANCIA d’occasion le confie à une autre en dépôt-vente, tout en conservant le certificat d’immatriculation. Après avoir mis en demeure cette dernière de payer et faute d’obtenir restitution du véhicule ou le versement de son prix, la société déposante, se considérant victime d’un abus de confiance, régularise donc une plainte de ce chef. Lors de son audition, le gérant de la société dépositaire, justifie alors n’avoir pas déféré à la mise en demeure par le fait que, se considérant créancier de commissions impayées, il avait opéré compensation en conservant le véhicule sans en reversé le prix, prétendant qu’il en était devenu propriétaire. Après ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société dépositaire, le véhicule s’est finalement retrouvé entre les mains d’un tiers à l’encontre duquel la société déposante s’est tournée en le poursuivant en paiement du prix. Déboutée par les premiers juges, la Cour d’appel a fait droit à cette demande en condamnant le détenteur au paiement. L’arrêt est censuré par la Cour de cassation, en application des principes de la courte prescription résultant de l’article 2272 al.4 du Code civil.

La prescription biennale

L’article 2272 al. 4 du Code civil, édictant que « l’action des marchands, pour les marchandises qu’ils vendent aux particuliers non marchands, se prescrit par deux ans » n’a pas échappé à la réforme profonde du droit de la prescription résultant de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008. Le principe de cette courte prescription a cependant été maintenu, constituant aujourd’hui l’article L.137-2 du Code de la consommation qui dispose « l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ». Les précisions apportées par la jurisprudence sous l’égide du texte précédent devraient donc logiquement être transposées au visa du texte nouveau.

Rappelons que cette prescription est dérogatoire aux dispositions de droit commun de l’article L.110-4 I. du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, dont il résulte que « les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. »

Fondements de la courte prescription

Il est de principe que la courte prescription de l’article 2272 du Code civil est fondée sur une présomption de paiement et ne concerne que les dettes que l’on n’a pas coutume de constater par un titre (Cass., 1ère civ., 15 janvier 1991, Bull.I n°17). Prenant donc appui sur ces principes dégagés par la Cour de cassation, la société poursuivante soutenait que cette prescription biennale ne pouvait trouver à s’appliquer au paiement du prix d’un véhicule vendu par un professionnel à un particulier en raison de la nécessité, pour les besoins notamment de l’immatriculation, de lui remettre des pièces administratives, raisonnement qui a été suivi par la Cour d’appel, celle-ci jugeant que la prescription devait effectivement être écartée s’agissant d’une automobile en raison de la nécessité de la faire immatriculer et donc de produire à cet effet un certificat de vente.

La Cour de cassation censure cependant l’arrêt en rappelant la seule exception pouvant permettre au vendeur d’échapper à la rigueur du délai, à savoir un aveu sur l’existence de la dette matérialisé par un titre émanant du débiteur poursuivi portant « reconnaissance de la dette litigieuse, conférant ainsi à celle-ci le caractère d’une dette ordinaire impayée échappant à ladite prescription ».

L’aveu comme seule exception

En effet, seul l’aveu du débiteur révélant qu’il n’a pas acquitté la dette écarte la prescription. Cette exception est appliquée de manière constante par la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 9 janvier 1967, Bull. I, n° 11 – Cass.1ère civ., 21 juin 1989, pourvoi n°87-12.507). Elle fait céder la présomption de paiement qui fonde la courte prescription, présomption qui constitue, c’est à souligner, une dérogation très notable au principe posé à l’article 1315 al.2 du Code civil selon lequel « celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».

L’aveu du non paiement peut par exemple se déduire d’une demande de délais de règlement (Cass. 1ère civ., 14 janvier 1992, pourvoi n°90-10.207) ou encore d’une réclamation de l’acheteur contestant la conformité du produit (Cass. 1ère civ., 11 février 1997, pourvoi n° 95-12.687) ou même d’une contestation du débiteur quant à l’existence même de la créance (Cass. 1ère civ., 5 février 2002, pourvoi n° 99-21.510 CA Rennes, 1ère chambre, 13 février 2003, JurisData n°2003-206874 – ou encore pour des coques de véhicules dont la commande et la livraison étaient contestées, CA Bourges, 1ère Chambre, 9 février 1994, JurisData n°1994-041376).

Dans l’espèce commentée, outre la question de la prescription, il était effectivement permis de s’interroger, comme cela était souligné dans le pourvoi, sur la qualité à agir de la société déposante à l’encontre du détenteur du véhicule sur le fondement de l’existence d’un contrat de vente intervenu avec la seule société dépositaire. En effet, l’existence du dépôt-vente n’apparaissait pas avoir été révélé à l’acquéreur auquel avait été remis un document de livraison, créant ainsi l’apparence de ce que la société dépositaire était bien propriétaire du véhicule. Or en l’absence de révélation du mandat, de subrogation dans la créance de paiement du prix, l’effet relatif des contrats posé à l’article 1165 du Code civil semblait bien pouvoir également s’opposer à l’action en paiement entreprise.

Soulignons enfin que le tiers acquéreur, à tout le moins détenteur du véhicule, s’il avait pu sans doute un temps circuler sous couvert d’une immatriculation provisoire délivrée par la société dépositaire, se trouvait nécessairement et depuis longtemps en infraction aux dispositions du Code de la route en continuant à circuler avec le véhicule, faute de disposer du certificat d’immatriculation retenu par la société déposante et d’avoir ainsi pu faire procéder aux formalités de transfert de celui-ci à son nom.

Il résulte en effet de l’article R 322-5 du Code de la route, « le nouveau propriétaire d’un véhicule déjà immatriculé doit, s’il veut le maintenir en circulation, faire établir, dans un délai d’un mois à compter de la date de la cession , un certificat d’immatriculation à son nom » précisant que « le fait, pour tout propriétaire, de maintenir en circulation un véhicule sans avoir obtenu un certificat d’immatriculation dans les conditions fixées au présent article est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 4ème classe ».

Pour le reste et bien qu’il ne soit pas douteux que la vente d’un véhicule n’échappe pas au principe du consensualisme qui gouverne la vente en général, la Cour de cassation a posé le principe que le nécessaire établissement à cette occasion d’une documentation rendue nécessaire par les exigences réglementaires de l’immatriculation ne permet donc pas de faire échapper ces transactions, lorsqu’elles interviennent entre un professionnel et un particulier, à la prescription biennale.

Laurent Mercié, avocat au barreau de Paris

LA DÉCISION

Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 25 février 2010
N° de pourvoi: 09-10201
Non publié au bulletin Cassation partielle

M. Charruault (président), président
SCP Gaschignard, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat(s)

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche :

Vu l’article 2272, alinéa 4, du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

Attendu que, prétendant qu’un véhicule automobile lui appartenant, qu’elle avait remis en dépôt à la société Dicama aux fins de vente, était détenu depuis plusieurs années par M. X…, la société Serma a agi contre ce dernier en paiement du prix de vente ;

Attendu que la cour d’appel, devant laquelle M. X… opposait à cette action la fin de non-recevoir tirée de la prescription édictée par le texte susvisé, a écarté celle-ci au motif que s’agissant d’un véhicule automobile, il est nécessaire de le faire immatriculer et à cet effet de produire un certificat de vente, de sorte que la vente d’une telle marchandise, formalisée en l’espèce par un document de livraison du véhicule par la société Dicama à M. X… avec la mention actuellement en cours de mutation à son nom, n’est pas soumis à la prescription de l’article 2272 du code civil ;

Qu’en se déterminant par tels motifs desquels il ne résulte pas qu’un titre émanant de M. X… ait porté reconnaissance de la dette litigieuse, conférant ainsi à celle-ci le caractère d’une dette ordinaire impayée échappant à ladite prescription, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions déclarant l’action recevable et condamnant M. X… à payer à la société Serma la somme de 10 061, 84 euros, l’arrêt rendu le 27 octobre 2008, entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble, autrement composée ;

Condamne la société Serma aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq février deux mille dix.

Maître Fanny MILOVANOVITCH Avocat à la Cour Barreau de Paris 26, avenue Kléber 75116 PARIS | Tel : 07 63 72 10 12 | Mentions légales