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Indiscutable serpent de mer du droit de la vente, la subtile distinction entre les obligations de délivrance et de garantie des vices cachés nourrit régulièrement la jurisprudence de la Cour de cassation. Nouvel exemple.

Obligations du vendeur

Outre la garantie d’éviction prévue à l’article 1626 du Code civil, l’article 1603 du Code civil précise que le vendeur “a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu’il vend”.Mais cette simplicité du texte masque complètement la complexité et les évolutions sensibles de la jurisprudence sur les domaines respectifs de l’obligation de délivrance et de la garantie des vices cachés. Schématiquement, en cas de panne grave, le fait pour l’acheteur de se plaindre du fait qu’un véhicule n’est pas conforme à ce que le vendeur lui avait promis – de façon implicite, que le véhicule était bien apte à l’usage auquel il est destiné ou encore plus de façon plus explicite, qu’il était en bon état de fonctionnement – ne revient-il à peu près à la même chose que de lui faire grief que le véhicule est affecté de vices cachés ? La jurisprudence a un temps suivi cette logique (Cass. assemblée plénière du 7 février 1986, Bull. Ass. plén. p.2) avec un objectif principal : l’indulgence à l’égard de l’acheteur ayant tardé à agir. Car d’un point de vue pratique, l’application alternative du régime de l’obligation de délivrance offrait la possibilité pour les plaideurs de contourner l’exigence du bref délai d’action imposée en matière de garantie des vices cachés (délai aujourd’hui circonscrit à deux années suivant la découverte du vice dans la rédaction actuelle de l’article 1648 du Code civil issue de l’ordonnance n°2005-136 du 17 février 2005, JO du 18 février 2005). Un revirement a cependant été opéré par plusieurs arrêts de la 1ère chambre civile du 5 mai 1993 (notamment, voir Bull.I, n°158, à propos de la mauvaise qualité de tuiles, jurisprudence confirmée quelques mois plus tard, Cass.1ère civ., 8 décembre 1993, « JA » 1994 p.96 jugeant, à propos d’une bétaillère fabriquée en dehors des règles de l’art à partir d’un fourgon découpé auquel avait été greffé une caisse de bétaillère qui s’était coupé en deux que « le défaut de conformité de la chose à sa destination normale constitue le vice prévu par le articles 1641 et suivants du Code civil ».

Critères de distinction

La synthèse proposée dans le rapport annuel de la Cour de cassation pour l’année 1994 mérite d’être rappelée : “Le vice présente un aspect pathologique susceptible d’évolution alors que la non conformité est statique et provient du fait patent que la chose n’est pas celle désirée. Le vice est, en outre, la plupart du temps accidentel, alors que la non conformité existe dès l’origine de la chose. Enfin le vice est inhérent à la chose vendue tandis que la non conformité exige d’être appréciée à la lumière du contrat” (Rapport annuel de la Cour de cassation 1994, p.343).
Pour la matière automobile, on peut ainsi tenter de résumer les critères de distinction en deux propositions :
– constitueront des inexécutions de l’obligation de délivrance de droit commun de l’article 1604 du Code civil, toutes les promesses formelles du vendeur qui se révèleront insatisfaites, au titre d’une différence entre les caractéristiques du véhicule commandé avec celles du véhicule livré ou par la manifestation d’une contre-performance, alors que les engagements correspondants seront jugés comme étant entrés dans le champ contractuel. Le défaut de délivrance conforme s’appréciera ainsi de façon très concrète, à travers une distorsion patente entre les engagements du vendeur et caractéristiques réelles du véhicule qui peut être appréciée le plus souvent de manière documentaire.

– en contrepoint, tous les amoindrissements des possibilités d’utilisation ou les mauvais fonctionnements graves se révélant prématurément et que l’on ne pourra confronter qu’à la représentation abstraite de l’utilité que l’acheteur était en droit d’attendre du véhicule relèveront du régime des vices cachés de l’article 1641 du Code civil. L’appréciation judiciaire sera en la matière beaucoup plus abstraite, par référence à un modèle théorique d’utilisation, la destination normale.
Il reste qu’en dépit d’une tendance à l’éclaircissement, la jurisprudence de la Cour de cassation reste parfois byzantine, sinon contradictoire : la chambre commerciale jugeant par exemple encore récemment qu’un matériel « dont les qualités intrinsèques ne correspondent pas aux spécifications indiquées et qui n’est pas davantage conforme à la destination qui lui était assignée » est affecté d’un vice caché (Cass., com., 6 juillet 2010, pourvoi n° 09-16405) pendant que la première chambre retient que la fourniture d’un matériel « inadapté à la destination convenue » caractérise au contraire un manquement du vendeur à son obligation de délivrance (Cass.1ère civ., 30 septembre 2010, pourvoi n° 09-11552), ce qui paraît être au contraire strictement le domaine de cette action. De même, lorsque qu’il est jugé que l’état technique d’un véhicule non conforme aux indications du procès-verbal de contrôle technique relève de l’inexécution de l’obligation de délivrance (Cass., 1ère civ., 29 janvier 2002, pourvoi n° 99-21728) cela paraît critiquable au regard des critères posés, sauf à réduire à néant le domaine de la garantie légale en matière de vente des véhicules d’occasion. Il est vrai que les difficultés d’analyse proviennent parfois de l’utilisation par la Cour de cassation de formules conjuguant les terminologies propres aux deux actions, notamment lorsqu’il est jugé que « la non-conformité de la chose à sa destination normale constitue un vice caché »(Cass., 3ème civ., 6 mai 1998, pourvoi n° 96-17547 – Cass., 1ère civ., 5 juillet 2005, pourvoi n° 03-12691) ou encore que « le défaut de conformité de la chose vendue à son usage normal constitue le vice prévu par les articles 1641 et suivants du Code civil »(Cass., 1ère civ., 6 mars 1996, pourvoi n° 94-14184).
On perçoit que se dessine parfois également le principe que lorsqu’une non conformité à l’usage contractuellement convenu se traduit parallèlement par un défaut technique rendant le bien vendu impropre à son usage normal, ce dernier l’emporte et c’est le régime de la garantie légale qui s’applique (pour une maison d’habitation indiquée à l’acte de vente comme étant raccordée au réseau public d’assainissement alors qu’elle était en réalité équipée de fosses, l’installation n’ayant pu être utilisée normalement, Cass., 3èmeciv., 5 juillet 2011, pourvoi n°10-18278, ou encore pour des combles aménagés pour l’habitation dont l’usage s’est révélé impossible en raison de désordres engendrés sur la charpente, Cass.,3ème civ., 8 juin 2010, pourvoi n° 08-20303).
Il peut aussi se trouver que le vendeur puisse cumulativement se fonder sur les deux actions lorsque le bien est non seulement affecté de vices tout en n’étant pas conforme aux caractéristiques spécifiées lors de la vente (véhicule équipé d’un moteur non d’origine et plus ancien, lequel est par ailleurs tombé en panne, Cass., 1ère civ., 18 février 2009, pourvoi n° 07-20404).

Illustrations

L’orthodoxie retrouvée dans la jurisprudence sur l’obligation de délivrance circonscrit celle-ci à l’obligation pour le vendeur de livrer à l’acheteur un véhicule rigoureusement conforme à ses engagements contractuels, “aux spécifications convenues par les parties” (Cass.1ère civ., 6 mars 1996, arrêt n°510, pourvoi n° 94-14.184, Cass., 1ère civ., 16 janvier 2001, pourvoi n° 98-16732).
Il en a été jugé ainsi pour :
– les défauts d’une chose neuve, la Cour de cassation précisant que la commande d’une chose neuve s’entend d’une chose n’ayant subi aucune dégradation, en l’espèce des traces d’effraction mineures réparées avant la vente,
– un numéro de série maquillé,
– la transformation irrégulière d’un véhicule utilitaire en véhicule de tourisme,
– l’installation irrégulière d’un équipement pour circuler au GPL,
– le poids à vide non conforme d’un camion frigorifique ou celui d’un camping-car,
– un véhicule vendu comportant un moteur d’une puissance différente du moteur d’origine ou même seulement, indépendamment de sa puissance, comme étant non d’origine, plus ancien et au kilométrage inconnu,
– un moteur d’occasion présentant une vétusté incompatible avec le kilométrage (32.000 km) indiqué sur la facture,
– la date de fabrication d’un engin de chantier s’étant révélée erronée,- la couleur,
– les options, comme un embrayage automatique, implicitement, pour la charge utile d’un véhicule utilitaire ou encore un système de climatisation automatique,
– le kilométrage erroné, la jurisprudence paraissant aujourd’hui assez bien fixée pour le considérer comme une inexécution de l’obligation de délivrance, hormis évidemment les hypothèses de fraudes caractérisées permettant de sanctionner par une nullité du contrat pour dol une manipulation dont on a la preuve qu’elle est imputable au vendeur ou qu’il la connaissait.

En revanche, le défaut de conception, rendant la chose vendue impropre à l’usage auquel elle est destinée, constitue quant à lui un vice caché et non un manquement à l’obligation de délivrance. Il en est de même du défaut de fabrication, à l’origine d’un « vice intrinsèque du matériau »ou de son « vieillissement anormal ».

Quid du raclement d’une boite de vitesse ?

Fort de l’ensemble de ces précisions jurisprudentielles, quelle qualification retenir pour un raclement de boite vitesse jugé « agaçant » et « anormal » bien que n’affectant pas l’utilisation du véhicule ?
Le défaut pouvait difficilement être confronté à une promesse contractuelle du vendeur, sauf précisément à considérer, ce qui est aujourd’hui proscrit, que le vendeur d’un véhicule haut de gamme promet implicitement mais nécessairement l’absence de désagrément tel qu’un bruit de fonctionnement de la boite de vitesse.
La Cour de cassation l’a donc logiquement mais théoriquement rangé dans la catégorie des vices cachés, ceci en approuvant la Cour d’appel d’avoir débouté l’acquéreur de sa demande.
Rappelons cependant que dans l’appréciation de la gravité du vice, il sera tenu compte des caractéristiques objectives qui pourront être attendues du véhicule, le niveau d’exigence pouvant notamment dépendre de la catégorie d’entrée de gamme ou au contraire haut de gamme du véhicule dont il s’agira d’apprécier le défaut.
C’est le sens de la jurisprudence qui a par exemple considéré que s’agissant de turbulences d’air dans l’habitacle lors de l’ouverture de la vitre arrière d’un véhicule de gamme moyenne, ce défaut ne constituait pas un vice pouvant justifier une garantie car il ne portait pas suffisamment atteinte au niveau de confort qui pouvait être attendu du véhicule litigieux alors que le défaut d’étanchéité du toit amovible d’un véhicule plus haut de gamme présentant un faible kilométrage (5.395 km) et que plusieurs concessionnaires n’avaient pas été en mesure de résoudre a en revanche été jugé comme constituant un vice rédhibitoire.
Dans l’espèce considérée, s’agissant d’un particulier ayant acheté son véhicule auprès d’un professionnel, il aurait pu imaginer fonder son action sur la garantie légale de conformité prévue à l’article L.211-5 du Code de la consommation car outre la subtile fusion des critères qui y est opérée entre l’obligation de délivrance et celle des vices cachés, elle permet d’exiger que la chose possède « les qualités que le vendeur a présentées à l’acheteur sous forme de modèle ainsi que les qualités qu’un acheteur peut légitimement attendre eu égard aux déclarations publiques faites par le vendeur, le constructeur ou son représentant, notamment dans la publicité », ce qui aurait peut-être offert la perspective, s’agissant d’un véhiucle haut de gamme dont les qualités sont fréquemment vantées dans les brochures publicitaires, d’une appréciation plus indulgente de son action.

chambre civile 1
Audience publique du jeudi 12 mai 201
N° de pourvoi : 10-13739
Rejet

M. Charruault, président
Me Balat, Me Copper-Royer, SCP Gatineau et Fattaccini, avocat(s)

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :

Attendu que la société BMW groupe financial services a consenti à M. X… un contrat de location avec option d’achat portant sur un véhicule neuf de cette marque vendu par la société Pays de Loire automobiles concession BMW ; que ce dernier, se plaignant d’un raclement de la boîte de vitesse, a sollicité la résolution du contrat tant sur le fondement du vice caché que, subsidiairement, sur celui du défaut de conformité ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt attaqué (Rennes, 25 septembre 2009) de le débouter de sa demande subsidiaire alors, selon le moyen, que la mauvaise qualité de la chose vendue constitue un défaut de conformité ; qu’en estimant que les défauts de la boîte de vitesse automatique invoqués par M. X… ne correspondaient pas à une non-conformité mais à un vice caché, tout en constatant, notamment à la lecture du rapport d’expertise judiciaire, que l’objet de la vente était «un véhicule haut de gamme d’une marque qui fonde notamment sa réputation sur le plaisir de conduire» et que la boîte de vitesse du véhicule se trouvait effectivement affectée d’un bruit anormal de « raclement » qui, s’il était sans danger, pouvait « agacer » , ce dont il résultait nécessairement que le défaut litigieux affectait uniquement la qualité du véhicule et non son usage à proprement parler, ce qui caractérisait l’existence d’un défaut de conformité, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 1147 et 1604 du code civil ;

Mais attendu qu’après avoir exactement énoncé que le vice caché résulte d’un défaut de la chose vendue alors que la non conformité résulte de la délivrance d’une chose autre que celle faisant l’objet de la vente, la cour d’appel en retenant que les défauts de la boîte automatique qui affectaient le véhicule commandé ne correspondaient pas à une non-conformité mais étaient susceptibles de s’analyser en un vice, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X…, le condamne à payer la somme de 3.000 euros à la société Pays de Loire automobiles, ainsi qu’une somme d’un même montant à la société BMW France ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille onze.

Décision attaquée : Cour d’appel de Rennes du 25 septembre 2009

Maître Fanny MILOVANOVITCH Avocat à la Cour Barreau de Paris 26, avenue Kléber 75116 PARIS | Tel : 07 63 72 10 12 | Mentions légales