Open/Close Menu Avocat | Droit de l'automobile

La première chambre de la Cour de cassation, dans un arrêt du 24 octobre 2012, vient de rappeler les effets assez radicaux de la possession qui ne cèdent pas sur la seule preuve du paiement du prix par le revendiquant.
Les concubins qui souhaitent éviter, dans l’éventualité d’une rupture, d’âpres et douloureuses discussions quant au sort des biens acquis pendant leur relation, ont indiscutablement intérêt à la conclusion d’un pacte civil de solidarité ou « pacs » dont le statut et notamment l’article 515-5 du Code civil prévoit des règles claires et simples en la matière. En effet, et sauf disposition contraire de leur convention ou exceptions prévues à l’article 515-5-2 dudit code, chacun des partenaires conserve d’abord l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels. Ensuite, chacun peut prouver, par tous moyens, tant à l’égard de son partenaire que des tiers, qu’il a la propriété exclusive d’un bien. Les biens sur lesquels aucun des partenaires ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié. Mais lorsque ces principes ne peuvent s’appliquer faute de pacs, les tribunaux, saisis d’une difficulté quant au sort d’un bien mobilier à la suite de la rupture du concubinage, appliquent le droit commun des obligations et tour à tour, les règles de la société de fait, celles de l’enrichissement sans cause, de l’indivision et, comme en l’espèce, les principes de la possession.

La Peugeot de la discorde

Pendant le cours de leur concubinage, un véhicule a été acquis au moyen d’un chèque de banque émis par le débit du compte d’épargne de Madame puis le véhicule est ensuite conservé par Monsieur lors de leur rupture, précision faite que la carte grise avait été établie à leurs deux noms, selon la faculté offerte par l’article 2.V de l’arrêté du 9 février 2009 (JO 29 mars 2009) relatif aux modalités d’immatriculation des véhicules (antérieurement, article 2.II de l’arrêté du 4 novembre 1984 relatif à l’immatriculation des véhicules).

Ayant assigné son ancien concubin en remboursement du prix et subsidiairement en restitution sous astreinte du véhicule, il devait être fait droit à la demande principale par la Cour d’appel, aux motifs que le prix avait été payé avec des fonds personnels au moyen d’un chèque de banque débité du compte de Madame le jour même de l’achat, en faisant du véhicule un bien personnel de celle-ci alors que Monsieur ne contestait ni le prix, ni la date d’achat tout en s’abstenant de produire tout élément de preuve relatif au financement ou encore au fait que l’achat par elle aurait constitué une participation aux frais de la vie commune, rendant ainsi la possession de Monsieur irrégulière, la présence des deux noms sur la carte grise ne pouvant suffire à établir la preuve d’une indivision.
L’arrêt est cependant censuré par la Cour de cassation sur un double fondement mais principalement au visa de l’article 2279 du Code civil, rappelant que la présomption qui résulte de la possession implique qu’il appartient au « demandeur en revendication de prouver le titre précaire en vertu duquel le prétendu possesseur détient un meuble ou le vice affectant sa possession », preuve que ne « suffit pas à caractériser le paiement du prix par le revendiquant ». Et faute des preuves spécifiques exigées, la Cour précise que le défendeur à revendication a alors « titre pour le conserver », considérant que les Juges d’appel avaient ainsi en l’espèce inversé la charge de la preuve.

Possession versus propriété

Parce que le commerce, au sens large, des biens meubles est pour l’essentiel dépourvu de support de preuve écrite ou de formalités de publicité destinées à en assurer l’opposabilité aux tiers, le droit a joué de réalisme en protégeant le possesseur, quitte à évincer purement et simplement le propriétaire.
Quel juriste n’a pas en effet en mémoire ce principe central du droit des biens selon lequel « en fait de meuble, la possession vaut titre », la plupart se souvenant d’ailleurs qu’il est (était) posé à l’article 2279 du Code civil ? Le lecteur le plus éclairé sait qu’à l’occasion de réforme de la prescription par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, bien que le droit soit resté constant sur le sujet, le législateur a jugé opportun de modifier la numérotation et la règle est aujourd’hui reprise à l’article 2276 du Code civil.
Le texte institue une présomption simple dont le principe même est d’opérer un renversement de la charge de preuve au profit du possesseur « non équivoque », c’est-à-dire celui qui possède « à titre de propriétaire » (Cass. civ. 2ème, 5 avril 1960, Bull. civ. II, n°252) et non pas à titre précaire, comme simple détenteur ou en application d’un autre lien de droit tel un dépôt ou un prêt. La possession pourra également résulter d’un don manuel qui pourra être caractérisé par la remise des clés et des documents concernant le véhicule, même lorsque la carte grise reste au nom du donateur, l’immatriculation n’étant qu’une formalité de police dépourvue d’effets civils (T.civ.Seine, 25 février 1948, JCP G 1949,II, 4719).

Charge de la preuve

Le possesseur est donc présumé de bonne foi et c’est à celui qui la conteste d’établir la mauvaise foi du possesseur ou le caractère précaire de sa possession, question qui relève du pouvoir souverain du juge du fond (Cass., 1ère civ., 23 mars 1965, Bull.Civ. I, n° 206 ??? Cass., 1ère civ., 21 février 2006, n° 04-19.667).
La solution confirmée par la Cour de cassation dans l’espèce commentée, fixant à la charge du revendiquant la preuve de l’irrégularité de la possession comme étant viciée ou encore de son caractère précaire, n’est pas nouvelle (Cass., 1ère civ., 3 décembre 2002, n° 00-22.686) et résulte du principe même de la présomption instituée par l’article 2276 du Code civil, principe fréquemment rappelé par les Juges du fond (Paris, 3 octobre 1990, GP 1991.1.113, CA Aix en provence, 1ère ch., 14 mars 2006, JurisData n° 2006-299073, CA Lyon, 1ère ch., 15 février 2001, JurisData n° 2001-144223).
La possession joue ainsi un véritable rôle acquisitif de propriété, de telle manière qu’un revendiquant ne peut être admis, comme dans l’espèce commentée, à tenter de prouver son droit de propriété à l’encontre du possesseur de bonne foi (req.21 novembre 1927, DP 1928.1.172). Il doit prouver le caractère précaire ou équivoque de la possession, ce qui constituent des preuves distinctes et nécessaires. Si le revendiquant se trompe de preuve, il succombe.
Il est en l’espèce précisé que le paiement du prix de la chose par le revendiquant ne suffit pas à caractériser le caractère précaire ou un vice affectant la possession, ce qui constitue donc un apport notable de la décision.

Caractère équivoque ou non

Les Juges du fond considèrent que la possession d’un véhicule automobile peut être équivoque lorsqu’il a été acquis pour l’utilité commune des concubins (CA Toulouse, 1èrech., 16 janvier 1990, JurisData n° 1990-050815) ou encore en tenant compte des conditions conflictuelles de la rupture (CA Caen, 1ère chambre, 27 novembre 2007, JurisData n° 2003-250261) mais considèrent également que le simple fait de concubinage est insuffisant à créer une présomption d’indivision (CA Bordeaux, 6 ème ch., 29 octobre 1997, JurisData n° 1997-047892), de même que la seule cohabitation est inapte à rendre la possession équivoque (CA Lyon, 1ère ch., 15 février 2001, JurisData n° 2001-144223, CA Riom, 2ème ch., 24 septembre 2002, JurisData n° 2002-191248).
N’est pas davantage équivoque la possession par une ex-concubine d’un véhicule dont la carte grise est établie à son seul nom, bien que financé par son ancien compagnon, et sur lequel elle a fait des frais importants après la séparation malgré ses revenus modestes (CA Rennes, 6ème ch., 24 janvier 2000, JurisData n° 2000-115656).
Le caractère équivoque de la possession a en revanche été jugé comme pouvant résulter d’un financement par la reprise d’un véhicule appartenant au revendiquant accompagné d’un versement en numéraire, une carte grise portant les deux noms et celui du revendiquant dans le contrat d’assurance comme conducteur principal (CA Aix en provence, 1ère ch., 14 mars 2006, JurisData n° 2006-299073).
Soulignons en l’espèce que les mentions du certificat d’immatriculation, établi au nom des deux concubins, n’a pas davantage que le paiement du prix été jugé par la Cour comme source suffisante d’équivoque, ce qui constitue un principe corollaire de celui fixé de longue date selon lequel la carte grise n’est pas un titre de propriété (Cass.1ère civ., 25 février 1958, Bull., civ.I n°114).
Ceci dit, nature et charge de la preuve laissent entière la question des modes de preuve entre concubins, relevant pour l’essentiel du droit commun de la preuve qui doit être écrite si l’enjeu dépasse 1.500 Euros (article 1341 du Code civil), sauf commencement de preuve lorsque il existe notamment une impossibilité morale de se procurer un écrit (article 1348 du Code civil), exception souvent invoquée entre concubins mais pour l’application de laquelle la Cour de cassation considère que la seule vie en commun est insuffisante à la justifier (Cass.1ère civ., 8 juin 2004, n° 02-10.492).

Droit commun

Rappelons enfin que si les principes de la possession bénéficient au concubinage, ils ne lui sont évidemment pas réservés et leur application aux transactions « de droit commun » est également fréquente. La bonne foi du possesseur sera alors également présumée, celle-ci s’entendant comme « la croyance pleine et entière » où il s’est trouvé, « au moment de son acquisition des droits de son auteur, à la propriété des biens qu’il lui a transmis » (Cass., 1ère civ., 23 mars 1965, Bull.Civ. I, n° 206)Il a ainsi été jugé comme équivoque la possession d’un véhicule sans se faire remettre la carte grise, ni vérifier que le vendeur détient ce document (Civ.1ère, 30 octobre 2008, Bull.civ. I, n° 242), exception faite dans les transactions entre professionnels où la remise concommitante n’est pas d’usage (Cass. com., 24 avril 2007, Bull.civ. IV, n° 115).

Concubins, à bon possesseur, salut.

Maître Fanny MILOVANOVITCH Avocat à la Cour Barreau de Paris 26, avenue Kléber 75116 PARIS | Tel : 07 63 72 10 12 | Mentions légales